Artistes
Il faut rester sur ses gardes. L’autrice et illustratrice Ana Galvañ passe son temps à aspirer notre regard. Le moindre coup d’œil vers l’une de ses illustrations, la plus diagonale lecture d’une de ses bandes dessinées, nous projette dans l’univers que la Murcienne construit patiemment depuis de nombreuses années : un endroit aux couleurs chaudes et délicates et à l’élégance confondante. Une fois sa proie captée, elle peut tranquillement développer ses arguments pour tenter d’améliorer ce qui peut l’être encore. En quelques traits simples, dans une ligne claire renouvelée, elle articule éléments et vignettes, manipule symboles et objets du quotidien pour lâcher ses messages d’espoirs et cracher sur nos angoisses. Conquis et fasciné, le regardeur prolonge son séjour, sans regret pour le monde qu’il a quitté.


La luxuriance fait son effet. Les yeux s’ouvrent grand, écarquillés par la vivacité des couleurs et la douceur des formes. L’âme se trouve apaisée, bercée par la beauté d’une nature exotique et d’une faune qui revêt ses plus chics atours. L’esprit court alors vers l’ailleurs, issue salvatrice à la petitesse du quotidien dont Marion Bègue, alias Piment Martin, veut nous sauvegarder. L’illustratrice lyonnaise multiplie les supports et les interventions pour que son dessin en forme d’hymne à la joie nous porte vers d’autres cieux, d’autres humeurs, d’autres priorités. La peintre fait danser devant nos yeux les femmes, les plantes et les objets pour une ronde magique dont nous ferons bientôt partie. Entraînés par l’élan, nous découvrons alors qu’un nouveau monde est possible.
Le dessin de Simon Roussin, c’est l’aventure. D’une part parce qu’il en a fait le décor de la plupart de ses bandes dessinées, mais aussi parce que le Lyonnais a le chic pour installer mystère et suspens à chaque recoin de son travail. Bercé aux films de genre hollywoodiens, l’ancien étudiant de la HEAR sait peaufiner la mise en scène de ses œuvres. En jouant de la lumière, en accentuant les contrastes, en explosant les couleurs, il ramène le spectacle sur la feuille blanche, John Ford format A4. À travers cette pampa de feutres et de pinceaux, le coquin nous guide à l’aide d’une ligne claire aussi discrète qu’élégante, mince fil qui sépare le regardeur de l’inconnu. Accroché à cette liane, nous valdinguons dans le plus étourdissant des rodéos, pendant que Simon Roussin, l’œil malicieux, rit déjà du danger qui vient.


Point n’est besoin de vivre des aventures rocambolesques pour s’enthousiasmer quant à la valeur de l’existence. Les petits potes d’Hel Covell sont là pour le prouver qui trouvent dans chaque moment de pause l’occasion s’émerveiller des choses les plus simples. Une soirée entre amis, une cueillette champêtre ou tout simplement une glande retentissante sont autant d’espaces-temps à célébrer pour la dessinatrice londonienne. D’un trait instinctif, l’ancienne étudiante de la Edinburgh College of Art crée de multiples personnages dont la mignonnerie et les couleurs chamarrées renforcent l’attachement du spectateur. Ainsi rêvons-nous de nous projeter à l’intérieur de ces compositions et de devenir amis avec toutes ces créatures qui semblent clairement prendre les choses du bon côté. Pour faire, avec eux, l’apologie de l’oisiveté.


Les couleurs sont aguicheuses et le trait tout à fait charmant. Un doux parfum émane des œuvres de Jocelyn Charles et on se prend à rêver balade dans ce printemps dessiné. Un homme tout à fait bien que ce dessinateur parisien, on lui donnerait même, de prime abord, le bon dieu sans confession. Pourtant, la séduction proposée par l’illustrateur et animateur est bien celle du Malin. Car derrière les grâces de son dessin aux formes moelleuses et à la ligne pure, derrière son ciel azur et sa végétation tranquille, se cachent les passions tristes et les humeurs mauvaises. En un clin d’œil, le travail de Jocelyn Charles se transforme et nous téléporte hors de nos terres connues, là où vivent les dragons, là où les émotions, la violence et la cruauté ne sont plus encadrées. Nous sommes alors à sa merci.



Si le dessin est un art de la synthèse, alors Chou Chia Yu maîtrise son sujet. Le Taïwanais ne s’embarrasse pas de traits parasites ou de lignes encombrantes pour parvenir à ses fins. Ses dessins usent de formes simples, de couleurs lissées et de trames élégantes pour frapper dès le premier regard, embarquer le regardeur dès le premier appel. Les œuvres de celui qui est désormais installé au Japon ne nous emmènent ne sont d’ailleurs pas si loin. L’illustrateur se régale à observer le quotidien, à en récolter son essence et à replacer les éléments cardinaux dans des scènes dont la légèreté et l’humour aide le quidam à regoûter aux joies du train-train. Voilà ce que Chou Chia Yu parvient à faire comme peu : nous rappeler que chaque moment de l’existence, même le plus anodin, est à cueillir.


Finnoise désormais installée à Londres, Annu Kilpeläinen a le goût du voyage. Une passion qu’elle retranscrit à qui mieux mieux dans ses travaux où l’automobile (avec un penchant pour la SAAB 900), les paysages grandioses et le vent dans les cheveux prennent une place certaine. Pourtant, ne faites pas d’elle un concessionnaire grisâtre ou un tour-operator sans âme. Tout ce que l’illustrateur va toucher, elle va le transformer en une composition psychédélique par laquelle le transport n’est pas seulement géographique mais tout autant spirituel. Des couleurs surpuissantes, un attrait constant pour l’art floral et des motifs chaloupés viennent donner à ses travaux une matière hallucinatoire qui nous plonge dans une faille dimensionnel vertigineuse et délicieuse. Attachez vos ceintures.