Artistes

Un grand boum. Tel est la première impression que laissent les dessins de Marie Mohanna. L’explosion graphique est manifeste, dans des œuvres où les couleurs déploient sans frein toute leur puissance et où les perspectives tendent à provoquer le vertige. L’effet est immédiat et le spectacle étourdissant. Mais ce serait oublier que le travail de l’illustratrice et autrice de bande dessinée est avant tout celui d’une artiste au trait minutieux, élevant le détail au rang de monument et jouant avec malice de la mise en scène pour faire discuter le tu et le révélé. Ce mariage entre le vacarme et le murmure permet une immersion totale du regardeur qui peut alors ouvrir grandes ses oreilles au secret révélé. À savoir que le monde est le décor d’un film où la réalité et la fiction ne font qu’un.

Kyle Platts a l’âme généreuse. Aussi s’est-il tourné vers la bande dessinée et l’animation, médias universel pas excellence. Grâce à un dessin aux contours nets, à l’allure minimale et aux formes joueuses, l’Anglais à même de partager avec le monde ses émotions les plus sincères, à savoir le cynisme, la violence gratuite, l’enthousiasme et même, parfois, la simple joie d’exister. Ce style ultra-efficace aux couleurs marquées ne manque pas le tournant de l’élégance, creusant ainsi le contraste entre une forme accueillante et un fond qui frappe d’autant plus fort. L’ancien élève de la Camberwell College of Arts parvient ainsi à agiter le hochet du fun et de l’humour pour mieux nous faire comprendre les absurdités du monde contemporain, dans lequel la folie peut au choix douce ou furieuse. C’est quitte ou double.

Et la lumière fut, disait quelqu’un d’important. Alors Thit Thyrring en a fait la base de ses illustrations. Si ses travaux peuvent prendre des allures différentes, de l’efficacité des formes percutantes jusqu’à la vibration de traits plus instinctifs, règne toujours en maître chez la Danoise ce soucis de filtrer le réel, d’en capter l’essence et de la montrer au grand jour. Couleurs marquantes, contrastes saisissants et dynamisme relevé appuient sur les aspérités des sujets qu’elle traite, du plus aride au plus spectaculaire. Ses productions révèlent ainsi non seulement la nature du réel mais aussi les sentiments d’une artiste au regard singulier, qui sait accueillir toute la complexité du monde et en déployer la poésie. En un mot, Thit Thyrring nous permet d’y voir plus clair.

Il se passe de choses, c’est indéniable. Des chutes à prévoir, des explosions à venir, des luttes conclues, des courses-poursuites terminées. Sur fond de paysages à la majesté envoûtante, Mathieu Larone dispose les éléments d’une action en cours, passée ou en gestation à l’aide d’un trait qui emprunte aux plus belles heures de l’animation américaine. Ce détour par le dynamisme le plus exubérant vient alors bouleverser l’esprit de contemplation que nous promettait la main soyeuse du crayon du Montréalais et la douceur de ses colorations. C’est la possibilité d’une vie qui s’échappe ainsi des œuvres surréalistes du dessinateur, de son action et de ses répercussions. L’image est en pause mais tout se met à danser dans l’esprit des regardeur·euses. Attention mesdames et messieurs, ça va commencer.

Il ne faut pas se fier à Magda Chmielowska. La Polonaise, installée à Lyon, ne fait rien qu’à nous ébaubir de ses images aux couleurs douces et aux formes rondelettes. Alors nous nous laissons aller, croyant mettre le pied dans un univers aux mille merveilles pourrait nous arriver. Nos premiers pas nous portent d’ailleurs dans un songe aux perspectives fabuleuses et aux dysmorphies poétiques. On y croise des amours, des joies et des beautés, mais il ne faut pas croire : c’est bien souvent du monde réel que nous parle la dessinatrice. Mais, abreuvés du nectar de la joliesse, nous percutons sans y prendre gare les inégalités, les injustices et les désolations d’un présent que Magda Chmielowska sait regarder avec justesse. Le trompe-l’œil est total et le plan machiavélique de la Varsovienne a fonctionné sans accroc.

Il n’y a pas de mal à se faire du bien. Or, jeter un œil – voire deux – sur les films d’animation et les illustrations de Chu-Chieh Le est une manière indubitable d’alléger son cœur et de détendre son visage. Car la Taïwanaise a les moyens de vous rendre heureux. En dédiant son art aux formes simples et aux couleurs chaleureuses, la désormais londonienne a choisi le côté épatant de la vie, celui qui fournit les étoiles dans les yeux et le bouquet de fleurs à la main. Mais attention, ne pas confondre joliesse et naïveté : Chu-Chieh Lee sait aussi parler à la profondeur des âmes et aux émotions enfouies, comme le prouve son magistral et multi-primé court Minus Plus Multiply. C’est juste qu’elle parvient à nous toucher sans nous sombrer, à nous parler sans hurler. On appelle ça la délicatesse.

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De tout temps, l’être humain n’a eu de cesse de vouloir s’échapper de son trou. Sentant bien qu’un autre monde était possible mais qu’il n’était pas toujours évident de l’atteindre, iel se mit à l’imaginer. Et puis, iel s’y est fait.e à ces contrées mentales, à tel point que certain.es, comme Lola Penicaud ont choisi de passer leur vie à ouvrir portes et volets pour pouvoir mieux observer ce doux paysage. Les dessins de la Lyonnaise sont des fenêtres sur cet espace où vont danser ensemble la poésie, le pouvoir des femmes, les créatures fantastiques et le rêve. Dans des couleurs franches et grâce à un trait raffiné, l’ancienne élève de l’école Émile Cohl compose les harmonies visuelles de ces territoires enchanteurs. Un pays qu’elle vous invite chaudement à visiter.

Comme un souvenir venu d’on sait où. Une image, fugace, qu’on gardait dans notre cerveau au cas où le besoin de réconfort se ferait trop insistant, sans savoir si elle nous appartient vraiment. Tels sont les dessins de Clément Thoby qui évoquent plus qu’ils ne décrivent, qui transportent plus qu’ils ne racontent. Une cabane dans les bois, un parc parisien, des enseignes japonaises… nous faisons nôtres ces paysages que nous n’avions jamais vu, nous revivons des scènes auxquelles nous n’avons pas assisté. Le coup de crayon vif du Parisien a ce pouvoir de rentrer dans notre intimité, de s’immiscer dans notre espace mental pour en devenir un pilier sur lequel se reposer. Car ces couleurs nous sont familières, ces lumières nous ont déjà éblouis et ces endroits, même si nous n’y sommes jamais allés, nous en avons déjà rêvé.

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S’il existe un pays où l’amour et la grâce règnent en maîtres, alors Gabriel Mafféïs en est le citoyen d’honneur. Car c’est bien de cette terre merveilleuse dont il est question tout le temps dans les dessins du Parisien. De ses œuvres, dans lesquelles se prélassent des corps alanguis et s’éveille un printemps éternel, émane le parfum d’une utopie fantastique où tout se résout par l’attention à l’autre et l’adoration de la beauté. Aux couleurs chaudes et enchanteresses répond un trait net et sans aspérité, dont les courbes appellent un psychédélisme doux et sont un encouragement à l’évasion sans heurt. Nous, spectateur.rices de ce monde qu’on croyait impossible, entendons avec délice la proposition murmurée par Gabriel Mafféïs, et nul doute que nous y répondrons sans tarder par la positive.

Certes le paysage semble accidenté. Pourtant, bien aidés par le coup de crayon de Clara Debray, nous passerons sans peine les difficultés et pourrons, dans la paix, contempler le paysage devant nous. L’Iséroise s’est faite une spécialité de dépeindre ce qui l’entoure et l’inspire au quotidien, y piochant là une lumière exquise et ici une aspérité douce. Le trait caressant et les couleurs cajoleuses, son art rend au monde sa poésie naturelle. C’est l’alliance admirable des beautés de la Terre et des merveilles de l’esprit humain prompte à reporter sur ce qu’il voit ses émotions propres. Les œuvres de l’ancienne diplômée des Arts Déco de Paris sont ainsi pétries d’une magique atmosphère qu’offrent les mouvements de l’âme de son autrice. Un souffle de vie les illumine, puissant, époustouflant : la montagne gravie, nous respirons enfin.

Le dessin d’Aude Bertrand dévoile sa puissance avec la délicatesse de la soie et la chaleur du velours. Sans vacarme ni forfanterie inutile, il nous susurre les secrets surnaturels d’une monde pas aussi nul qu’on le croit. En peu de traits, Aude Bertrand ouvre une brèche dans l’impossible et se faufile par ce biais jusqu’à notre cœur fondant. Son travail, d’une élégance infinie, ne mise sur la beauté que pour mieux venir titiller nos émotions les plus enfouies qui trouvent, devant le travail de la Montpelliéraine, de quoi respirer un air plus pur, plus vif. Caressée par les couleurs feutrées de l’illustratrice, notre intimité ose mettre le nez dehors et, trouve devant le travail de l’artiste de quoi discuter d’égal à égal. Et nous nous retrouvons, soudain, tout à fait mis à nu.

Globalement, on est tout petit. Par rapport à la Terre ou même juste à une montagne ou même juste à un grand arbre, on ne fait pas le poids, ni la mesure. Viola Amman aime nous ramener à cet état de fait, en plaçant se personnages rikikis face à l’immensité. Tout en allures simples et contours à peu presque, iels se livrent au football, à la sortie canine ou à la promenade champêtre, comme ils peuvent, dans ce paysage aux limites floues et à la peinture tendre. La Milanaise, installée à Lyon depuis 2016, balade ainsi ses héros dans des saynètes où formes et couleurs semblent voleter comme des papillons en foire, ne faisant qu’une bouchée de la frontière entre abstraction et représentation. Le vent de la poésie souffle alors dans la nuque du regardeur qui voit la vie, ce minuscule monument, s’ébattre devant lui.

Il n’aura échappé à personne que la nature humaine est un écheveau de pensées, d’attitudes et valeurs antagonistes, sur lequel coule un monceau de facteurs extérieurs qui en change perpétuellement l’humeur. Pour tout dire, c’est un foutu bazar. Pourtant, l’animateur et réalisateur taïwanais Joe Hsieh ne cesse de jouer avec cette pelote, à grands coups de courts-métrages primés. C’est qu’il s’y sent bien dans cette jungle d’émotions, lui dont l’esthétique virtuose et mécanique cache mal son goût pour l’hémisphère sombre du cerveau., celui sans pâquerette ni bonheur de vivre. Dans un contraste flamboyant, il arrose des personnages quelconques de gouttes d’acides – et de sang -, à même de révéler les fêlures de l’âme, à travers lesquelles passe la lumière aveuglante de la folie. Avant de tout brûler.

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Il faut rester sur ses gardes. L’autrice et illustratrice Ana Galvañ passe son temps à aspirer notre regard. Le moindre coup d’œil vers l’une de ses illustrations, la plus diagonale lecture d’une de ses bandes dessinées, nous projette dans l’univers que la Murcienne construit patiemment depuis de nombreuses années : un endroit aux couleurs chaudes et délicates et à l’élégance confondante. Une fois sa proie captée, elle peut tranquillement développer ses arguments pour tenter d’améliorer ce qui peut l’être encore. En quelques traits simples, dans une ligne claire renouvelée, elle articule éléments et vignettes, manipule symboles et objets du quotidien pour lâcher ses messages d’espoirs et cracher sur nos angoisses. Conquis et fasciné, le regardeur prolonge son séjour, sans regret pour le monde qu’il a quitté.

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La luxuriance fait son effet. Les yeux s’ouvrent grand, écarquillés par la vivacité des couleurs et la douceur des formes. L’âme se trouve apaisée, bercée par la beauté d’une nature exotique et d’une faune qui revêt ses plus chics atours. L’esprit court alors vers l’ailleurs, issue salvatrice à la petitesse du quotidien dont Marion Bègue, alias Piment Martin, veut nous sauvegarder. L’illustratrice lyonnaise multiplie les supports et les interventions pour que son dessin en forme d’hymne à la joie nous porte vers d’autres cieux, d’autres humeurs, d’autres priorités. La peintre fait danser devant nos yeux les femmes, les plantes et les objets pour une ronde magique dont nous ferons bientôt partie. Entraînés par l’élan, nous découvrons alors qu’un nouveau monde est possible.

Le dessin de Simon Roussin, c’est l’aventure. D’une part parce qu’il en a fait le décor de la plupart de ses bandes dessinées, mais aussi parce que le Lyonnais a le chic pour installer mystère et suspens à chaque recoin de son travail. Bercé aux films de genre hollywoodiens, l’ancien étudiant de la HEAR sait peaufiner la mise en scène de ses œuvres. En jouant de la lumière, en accentuant les contrastes, en explosant les couleurs, il ramène le spectacle sur la feuille blanche, John Ford format A4. À travers cette pampa de feutres et de pinceaux, le coquin nous guide à l’aide d’une ligne claire aussi discrète qu’élégante, mince fil qui sépare le regardeur de l’inconnu. Accroché à cette liane, nous valdinguons dans le plus étourdissant des rodéos, pendant que Simon Roussin, l’œil malicieux, rit déjà du danger qui vient.

Point n’est besoin de vivre des aventures rocambolesques pour s’enthousiasmer quant à la valeur de l’existence. Les petits potes d’Hel Covell sont là pour le prouver qui trouvent dans chaque moment de pause l’occasion s’émerveiller des choses les plus simples. Une soirée entre amis, une cueillette champêtre ou tout simplement une glande retentissante sont autant d’espaces-temps à célébrer pour la dessinatrice londonienne. D’un trait instinctif, l’ancienne étudiante de la Edinburgh College of Art crée de multiples personnages dont la mignonnerie et les couleurs chamarrées renforcent l’attachement du spectateur. Ainsi rêvons-nous de nous projeter à l’intérieur de ces compositions et de devenir amis avec toutes ces créatures qui semblent clairement prendre les choses du bon côté. Pour faire, avec eux, l’apologie de l’oisiveté.

Les couleurs sont aguicheuses et le trait tout à fait charmant. Un doux parfum émane des œuvres de Jocelyn Charles et on se prend à rêver balade dans ce printemps dessiné. Un homme tout à fait bien que ce dessinateur parisien, on lui donnerait même, de prime abord, le bon dieu sans confession. Pourtant, la séduction proposée par l’illustrateur et animateur est bien celle du Malin. Car derrière les grâces de son dessin aux formes moelleuses et à la ligne pure, derrière son ciel azur et sa végétation tranquille, se cachent les passions tristes et les humeurs mauvaises. En un clin d’œil, le travail de Jocelyn Charles se transforme et nous téléporte hors de nos terres connues, là où vivent les dragons, là où les émotions, la violence et la cruauté ne sont plus encadrées. Nous sommes alors à sa merci.

Si le dessin est un art de la synthèse, alors Chou Chia Yu maîtrise son sujet. Le Taïwanais ne s’embarrasse pas de traits parasites ou de lignes encombrantes pour parvenir à ses fins. Ses dessins usent de formes simples, de couleurs lissées et de trames élégantes pour frapper dès le premier regard, embarquer le regardeur dès le premier appel. Les œuvres de celui qui est désormais installé au Japon ne nous emmènent ne sont d’ailleurs pas si loin. L’illustrateur se régale à observer le quotidien, à en récolter son essence et à replacer les éléments cardinaux dans des scènes dont la légèreté et l’humour aide le quidam à regoûter aux joies du train-train. Voilà ce que Chou Chia Yu parvient à faire comme peu : nous rappeler que chaque moment de l’existence, même le plus anodin, est à cueillir.

🤝 Avec le soutien du Centre Culturel de Taïwan

Finnoise désormais installée à Londres, Annu Kilpeläinen a le goût du voyage. Une passion qu’elle retranscrit à qui mieux mieux dans ses travaux où l’automobile (avec un penchant pour la SAAB 900), les paysages grandioses et le vent dans les cheveux prennent une place certaine. Pourtant, ne faites pas d’elle un concessionnaire grisâtre ou un tour-operator sans âme. Tout ce que l’illustrateur va toucher, elle va le transformer en une composition psychédélique par laquelle le transport n’est pas seulement géographique mais tout autant spirituel. Des couleurs surpuissantes, un attrait constant pour l’art floral et des motifs chaloupés viennent donner à ses travaux une matière hallucinatoire qui nous plonge dans une faille dimensionnel vertigineuse et délicieuse. Attachez vos ceintures.

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